Hasparren, terre de cuir et de savoir-faire : l’épopée de la chaussure basque
Lorsqu’on évoque Hasparren, au cœur du Pays basque intérieur, on imagine volontiers ses maisons labourdines, son marché vivant ou ses collines verdoyantes. Mais derrière cette carte postale se cache un passé industriel méconnu : Hasparren fut l’un des plus importants centres français de la fabrication de chaussures. Pendant près d’un siècle, le cuir et la chaussure ont façonné l’économie locale, transformé la société et marqué durablement l’identité de la commune.
Hasparren atelier chaussures Amespil - circa 1910
Des racines artisanales au XIXᵉ siècle
L’histoire commence bien avant l’ère industrielle. Dès le début du XIXᵉ siècle, Hasparren réunit trois conditions idéales pour travailler le cuir :
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l’élevage bovin et ovin, fournissant les peaux,
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les cours d’eau nécessaires au trempage et au rinçage,
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la forêt, notamment de chênes, offrant le tanin indispensable à la tannerie.
En 1851, on recense 51 tanneurs dans la commune – un chiffre impressionnant pour un bourg rural. La fabrication de chaussures se pratique alors à domicile, souvent comme activité complémentaire à l’agriculture. Chaque artisan travaille de A à Z : découpe du cuir, couture, montage, finitions. Ce sont les prémices d’un savoir-faire qui fera la réputation d’Hasparren.
Le tournant industriel (1890-1930)
À la fin du XIXᵉ siècle, tout change. L’arrivée de nouvelles machines et l’adoption de méthodes industrielles bouleversent le métier. L’activité se concentre peu à peu dans des ateliers puis dans de véritables usines. Entre 1898 et 1900, Hasparren entre de plain-pied dans l’ère industrielle.
Les anciens artisans cordonniers, autrefois installés dans de petites échoppes familiales, deviennent peu à peu ouvriers dans des ateliers collectifs. Le travail du cuir, plus régulier et mieux rémunéré que celui de la terre, attire une main-d’œuvre issue du monde rural. Dans de nombreuses familles, au moins une personne délaisse les champs pour intégrer cette nouvelle filière industrielle. Ainsi, la fabrication de chaussures devient une activité structurante pour la commune, à la fois sur le plan économique et social.
Au fil des années, de véritables dynasties d’industriels locaux émergent et s’imposent dans ce secteur en pleine expansion. Les noms des familles Amespil, Hiriart-Urruty ou encore Trolliet deviennent indissociables de l’histoire de la chaussure à Hasparren. Leurs usines, parfois modestes à l’origine, s’agrandissent pour répondre à la demande croissante, tant au niveau local que régional.
Ce tournant industriel marque l’entrée d’Hasparren dans la modernité, tout en conservant un lien fort avec le savoir-faire artisanal hérité des générations précédentes. Encore aujourd’hui, la mémoire de cette époque demeure vivante dans les rues du bourg, où l’on retrouve les traces d’un passé façonné par le cuir, le travail et la volonté d’entreprendre.
À son apogée, au début du XXᵉ siècle, la commune compte près de 3 000 personnes travaillant dans la chaussure : un chiffre qui représente une grande partie de la population active locale. Hasparren devient une véritable cité ouvrière, où se côtoient ateliers, tanneries, usines et cités de logements pour les familles.
Le bâtiment et les ateliers de la maison de chaussures Ona – circa 1920
Un écosystème industriel structuré
Ce boom n’est pas qu’économique : il façonne une société nouvelle.
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Organisation du travail : le cordonnier qui fabriquait seul un soulier laisse place à une division des tâches en chaîne de montage. Chaque ouvrier se spécialise : coupe, piqûre, montage, finition…
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Vie ouvrière : des cités et logements sont créés près des usines, des coopératives apparaissent, et avec elles une culture ouvrière forte, parfois paternaliste, parfois revendicative.
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Rôle central des femmes : nombreuses dans les ateliers, elles jouent un rôle essentiel, notamment dans la couture et les finitions.
Hasparren n’est plus seulement un village : c’est un pôle industriel régional.
Déclin, reconversion et mémoire vivante
Comme de nombreuses industries textiles et manufacturières françaises, la chaussure à Hasparren commence à décliner dès les années 1930. La concurrence, les coûts de production, les crises économiques puis l’évolution des modes de consommation fragilisent les entreprises locales.
Au fil du XXᵉ siècle, fermetures et reconversions s’enchaînent. L’activité n’a pas totalement disparu, mais elle n’est plus le moteur économique de la commune. Il reste cependant :
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un héritage patrimonial : anciens ateliers, maisons de tanneurs, cités ouvrières, archives industrielles,
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un savoir-faire ancré dans la mémoire collective,
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une fierté locale, transmise de génération en génération.
Aujourd’hui, Hasparren porte toujours l’empreinte de son passé de capitale de la chaussure, que l’on retrouve dans ses bâtiments, ses archives, ses récits et ses habitants.
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