Mendive, scierie et passage vers la liberté

La scierie de Mendive et la forêt d’Iraty

Au début du XXe siècle, l’immense forêt d’Iraty, à cheval sur le Pays basque et la Navarre, attisait déjà bien des convoitises. En 1924, les frères Pédelucq, originaires de Habas (Landes) et déjà propriétaires de scieries, décident d’exploiter le versant français. Pour acheminer le bois, la famille Moretti et son équipe entreprennent alors un projet titanesque : la construction du plus long téléphérique d’Europe, long de 19 km en trois sections.

La scierie de Mendive - Circa 1926

L’exploitation prend rapidement de l’ampleur. En 1927, la scierie emploie près de 400 personnes : 150 dans la forêt, 50 sur le plateau et 200 à l’usine. Mais la Seconde Guerre mondiale va bouleverser ce destin industriel.

La scierie et le téléphérique de Mendive - Circa 1926

L’arrivée de Charles Schepens à Mendive

En 1942, la scierie de Mendive est rachetée par Cyrille Pomerantzeff avec comme directeur  Charles Schepens, un jeune ophtalmologiste belge. Né en 1912 dans une famille de médecins, il s’était d’abord intéressé aux mathématiques avant de se tourner vers la médecine à l’université de Gand. Spécialiste des maladies de l’œil, il avait exercé à Londres, à l’hôpital de Moorfields.

Charles Schepens

Lorsque la guerre éclate, Schepens rejoint les corps médicaux de l’Armée de l’Air belge. Très vite repéré par la Gestapo et arrêté brièvement, il comprend qu’il n’aura d’autre choix que de résister. Après sa libération, il organise l’évasion de pilotes alliés et fait de son cabinet médical une véritable boîte aux lettres de la Résistance. Traqué, il fuit la Belgique avec sa famille et se réfugie en France.

C’est à Mendive, tout près de la forêt d’Iraty, qu’il trouve une nouvelle couverture. Sous le nom d’emprunt de Jacques Perot, il remet en service la scierie… mais surtout, il l’utilise comme base pour aider les évadés à franchir la frontière espagnole. L’endroit devient à la fois centre d’information et point de passage clandestin.

Un héros discret de la Résistance

Entre 1942 et 1943, Schepens permet à plus de 100 personnes de fuir l’Europe occupée : pilotes alliés, résistants belges, prisonniers évadés, mais aussi de nombreux jeunes Français cherchant à échapper au STO.

En 1943, dénoncé par un résistant sous la torture, il parvient à s’échapper in extremis. Sa famille est arrêtée et une prime de 100 000 francs est mise sur sa tête. Les Allemands tentent de l’attirer dans un piège en utilisant ses proches comme appât, mais son épouse réussit à s’évader avec leurs enfants. Neuf mois plus tard, la famille se retrouve en Angleterre.

De Mendive à Harvard

Après la guerre, Schepens avec l'aide du berger Jean Sarochar retourne à Londres avant de partir aux États-Unis. À Boston, il fonde le Service de la rétine de la Massachusetts Eye and Ear Infirmary et jette les bases de ce qui deviendra l’Institut Schepens, l’un des plus grands centres de recherche ophtalmologique au monde.

On lui doit notamment le développement de l’ophtalmoscope binoculaire indirect et des techniques pionnières de chirurgie de la rétine. Ses travaux ont révolutionné la discipline et formé plusieurs générations de spécialistes.

La reconnaissance tardive

Discret sur son passé, Schepens n’a jamais évoqué ses activités clandestines à ses collègues. Ce n’est qu’en 1983 que son rôle est redécouvert par hasard, grâce à une historienne américaine, Meg Ostrum, qui rencontre un prêtre basque parlant avec admiration de « Jacques Perot ». Elle publiera en 2004 Le chirurgien et le berger, retraçant son incroyable parcours.

Quelques jours avant sa mort, le 28 mars 2006, à l’âge de 94 ans, Charles Schepens reçoit enfin la Légion d’Honneur. Un hommage bien mérité à celui qui, depuis sa scierie de Mendive, avait fait passer bien plus que du bois à travers les montagnes d’Iraty : il avait fait passer la liberté.

📚 Conseil de lecture
Pour plonger plus en profondeur dans l’histoire de cette filière d’évasion hors du commun, je vous recommande le livre de Meg Ostrum, Le chirurgien et le berger. Deux héros de la Résistance au Pays basque (Éditions Aubéron, 2011). Un récit passionnant qui mêle mémoire locale et destin exceptionnel.

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